Anonymous, Antwerp, ca. 1520
Virgin and Child with Sts. Barbara and Catherine
Geneva, Musée d’Art et d’Histoire
Curator
Frédéric Elsig
Museum press release, November 2005
Conçue dans un séminaire universitaire (2002-2003), l’exposition se donne deux objectifs. D’une part, elle présente une sélection de 32 peintures flamandes et hollandaises produites avant 1620. Elle révèle ainsi au public une partie aussi passionnante que méconnue des collections genevoises, dont se poursuit l’étude systématique à travers la publication d’un catalogue raisonné (43 numéros), et sont mis en évidence les problèmes relatifs à la conservation. D’autre part, elle propose d’analyser non pas les caractéristiques de tel ou tel genre établi (la scène de genre, le paysage, la nature morte, etc.), mais tout le processus menant vers la naissance des genres, en tentant de dégager un phénomène capital de l’histoire de l’art : l’émergence de la notion même de genre au XVIe siècle.
Pratiqués dans l’Antiquité, les genres disparaissent au cours du Ve siècle, au moment où se met en place le système purement symbolique de l’image chrétienne. Rendus à nouveau possibles au XVe siècle par le renouveau de l’illusionnisme dans la peinture flamande, ils ne réapparaîtront progressivement qu’au siècle suivant à travers un profond changement de goût. Nourrie de valeurs rhétoriques telles que l’inventio et son corollaire, la varietas, la culture élaborée autour de 1500 dans les cours des Habsbourg à Bruxelles ou à Malines génère de nouveaux types de peinture profondément singuliers (Jheronimus Bosch, Jan Gossaert, etc.). Ceux-ci, qui s’adaptent à la sphère privée de l’élite aristocratique et comblent une attente induite par les catégories que décrivent les auteurs antiques (Vitruve, Pline l’Ancien), suscitent rapidement une demande élargie, à laquelle répond l’essor du marché libre d’Anvers, en entraînant d’une part une production en série de copies et de pastiches, d’autre part des phénomènes de spécialisation et, par conséquent, de collaboration entre les peintres (Quentin Metsys, Joachim Patinir, etc.). Ainsi émerge la notion de genre qui, avant même sa formulation terminologique et théorique en Italie au milieu du XVIe siècle, s’exprime dans la production picturale des anciens Pays-Bas et se définit paradoxalement par la multiplication d’une idée singulière. Articulée en cinq sections, l’exposition tente d’en analyser toute la dynamique à travers une sélection des peintures flamandes et hollandaises du Musée d’art et d’histoire, produites avant 1620.
Colonne vertébrale de l’exposition, la première section se focalise sur l’image de dévotion. Celle-ci, fondamentalement anti-narrative, alimente durant tout le XVIe siècle, en dépit de la crise religieuse, le marché de l’art anversois, dont elle trahit les mécanismes, en particulier le primat de l’inventio dans les phénomènes de la copie et du pastiche. Elle met ainsi en évidence le glissement de fonction des œuvres d’art, appréciées par les collectionneurs autant pour leur contenu dévotionnel que pour leur valeur artistique, comme en témoigne la très belle Vierge à l’Enfant avec les saintes Catherine et Barbe, reflétant une invention de Léonard de Vinci. Parallèlement, sous l’effet du goût pour la varietas, s’opère une diversification des sujets, mise en lumière dans la deuxième section. Elle se caractérise par un développement du narratif qu’illustrent la célèbre Décollation de saint Jean-Baptiste de Juan de Flandes, peintre virtuose apprécié dans le réseau habsbourgeois, ou la remarquable Tentation de saint Antoine de Jan Wellens de Cock, restaurée à l’occasion de l’exposition. Elle se traduit également par l’adoption de thèmes idéologiquement plus neutres, empruntés fréquemment à l’Ancien Testament ou au répertoire allégorique (Jan I Bruegel, Cornelis Cornelisz Van Haarlem) et, plus rarement, à l’histoire contemporaine, comme le démontre un tableau singulier, les Cruautés du duc d’Albe par Frans II Francken.
Par ailleurs, l’image de dévotion constitue la matrice des genres, dans la mesure où elle subordonne à la figure des éléments de décor, qui acquièrent progressivement leur autonomie, en menant, à travers la scène de genre, vers le paysage et la nature morte. Dans la troisième section, le processus d’autonomisation du paysage peut se décomposer en trois opérations successives : d’abord, l’inversion hiérarchique entre la figure et le décor (le Saint Jérôme d’après Joachim Patinir) ; ensuite, la neutralisation du contenu religieux (le Paysage avec scènes de chasse par un suiveur de Patinir, Arbre de mai de Pieter II Bruegel) ; enfin, l’évacuation progressive, mais jamais absolue, de la figure humaine (le Paysage de montagne et le Paysage avec animaux de Roelant Savery, mettant en évidence les frontières floues avec la peinture animalière). Dans la quatrième section, la nature morte obéit à un processus tout à fait parallèle, comme le démontrent successivement le Saint Jérôme peint dans l’atelier anversois de Pieter Coecke Van Aelst, les Usuriers d’après Quentin Metsys, le Cabinet d’amateur de Frans II Francken puis le Bouquet de fleurs dans un vase de Jan I Bruegel. Enfin, la cinquième section présente le genre plus ancien et marginal du portrait, en révélant des œuvres de grande qualité, comme le Portrait d’un homme par un peintre proche de Corneille de Lyon, et en concluant sur le Portrait de l’archiduc Albert d’après Rubens, emblématique d’un nouveau chapitre dans l’histoire du goût et dans celle des genres, désormais établis.